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Avez-vous jamais traversé un pays totalement inconnu dont vous ignorez presque entièrement la langue ? L'expérience est intéressante et met à l'épreuve nos facultés déductive et intuitives. C'est à peu près ce que ressent le commun des mortels en écoutant les chercheurs en astrophysique aujourd'hui.
C'est en découvrant « l'arbre de la matière noire » (dark matter tree) qu'a posté sur sa page personnelle le professeur Stacy McGAUGH de la Case Western Reserve University (Cleveland)1 que j'ai commencé à saisir à quel point la physique fondamentale du XXIème siècle se trouve questionnée par les observations de l'astrophysique.
L'arbre du professeur McGaugh n'est ni daté ni accompagné d'explication. Mais quiconque a parcouru la lettre-préface aux Principes de la philosophie (1650) de René Descartes2 ne peut manquer n'y percevoir une allusion, peut-être inconsciente, à l'« arbre de la philosophie ».
Pour Descartes la philosophie n'est rien d'autre que la sagesse humaine dans son intégralité, symbolisée par l'arbre de toutes les sciences, ou mathesis universalis, dont les « principes » (qui constituent la prima philosophia ou métaphysique) forment les racines, la « physique » le tronc, les applications de cette « physique » aux êtres naturels les branches, enfin les progrès techniques résultants les fruits.
Il est vrai cependant que l'arbre de M. McGaugh comporte de notables différences avec celui de M. Descartes.
En premier lieu, on constate que la « métaphysique » (les racines) de l'arbre de la physique est ici constituée de faits d'observation (ou d'implications théoriques de ces faits) traduits en langue mathématique, comme les courbes étrangement plattes des vitesses de rotation observées des étoiles en fonction de la distance au centre galactique dans les galaxies spirales, par exemple (2e racine en partant de la gauche : "spiral galaxy flat rotation curves").
En ordonnées, vitesses attendues (A) et observées (B) des étoiles en rotation dans une galaxie spirale, en fonction de la distance au centre galactique (abcisses). (source : http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-paul-baquiast/080514/pourquoi-la-theorie-de-la-gravite-modifiee-mond-peine-t-elle-tellement-pour-etre-reconnue)
Mais l'intuition suggère que ce qui semble être cinq faits ou implications de faits - ici rapportés en bas du schéma - sont des faits problématiques : c'est-à-dire qu'ils demeurent inexpliqués, obligant à faire assaut d'hypothèses pour en rendre raison.
Quand on remonte dans l'arbre, on constate d'ailleurs autre chose : à savoir que les branches ne sont pas à proprement parler des sciences déduites d'un tronc commun de certitudes, mais seulement des hypothèses qu'il convenait sans doute de répertorier, avant de procéder à l'élagage nécessaire des rameaux improductifs : les nombreux points d'interrogation en témoignent.
On en déduit que l'arbre n'a sans doute pas encore donné les fruits que tout le monde en attend.
Plus surprenant encore, on observe que le tronc n'est pas simple, mais double : en d'autres termes, en l'état actuel des connaissances et pour expliquer certains faits contradictoires avec nos prédictions théoriques, il est concevable de modifier ou d'ajouter des chapitres à l'une ou l'autre de deux théories fondamentales de la physique : celle de la masse (mass), ou celle du mouvement (dynamics).
Ce n'est tout de même pas rien.
La théorie de la masse, si je ne me trompe, cela veut dire la théorie de la matière, que l'on parle de matière connue (baryonique) ou de matière exotique (non-baryonique), comme le suggère l'arbre de Mc Gaugh. Dans cette direction, on rencontre (parmi d'autres) l'hypothèse familière aujourd'hui dans le grand public de la « matière noire » (DM= sans doute ici « Dark Matter »).
Quant au tronc alternatif, il mène à d'autres remaniements non moins radicaux : la théorie de la dynamique, cela veut dire semble-t-il ici la théorie de la gravité ou la théorie de l'inertie. L'arbre mentionne ainsi la « gravité modifiée » ou MOND (= Modified Newtonian Dynamics) du professeur Mordehai Milgrom, la « gravité de Weyl », la « gravité asymétrique », voire d'autres théories possibles. On pourrait par exemple imaginer que la constante de gravitation G de Newton puisse varier dans le temps.
En d'autres termes, les données de l'astrophysique exigent aujourd'hui une physique rénovée non pas à la marge, mais dans certains de ces concepts les plus fondamentaux.
Mais dans quelle direction grimperons-nous ? Avons-nous les moyens de tester nos hypothèses sur ce genre d'objets d'études ? Et quelles branches finalement tomberons ?
Affaire à suivre...
Autre article sur le sujet de la MOND (Modified Newtonian Dynamics) :
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(quelqu'un lit l'hébreu ?) http://www.weizmann.ac.il/weizsites/milgrom/files/2012/08/The-Marker-Milgrom-1.14.pdf
NOTES :
2Cf §14-15, http://philosophie.ac-creteil.fr/IMG/pdf/Principes_I.pdf (p.8).