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LE VOYAGE PHILOSOPHIQUE

LE VOYAGE PHILOSOPHIQUE

Aliments pour une réflexion philosophique


Septembre 1772 : La supplique de Castellan du Vernet au ministre de la Marine (transcription)

Publié par medomai sur 8 Mai 2016, 13:26pm

Catégories : #BANDE DESSINÉE, #SAVOIA, #TROMELIN, #NAUFRAGE, #FLÛTE L'UTILE, #CASTELLAN, #ART, #HISTOIRE, #ESCLAVAGE, #LIBERTÉ

Couverture de "Les esclaves oubliés de Tromelin", coll. Aire Libre, éd. Dupuis, 2015.
Couverture de "Les esclaves oubliés de Tromelin", coll. Aire Libre, éd. Dupuis, 2015.

*************************

Pour N*,

Ma transcription de la lettre de Bartélémy Castellan du Vernet (visible dans l'exposition "Tromelin").

Onze ans après les faits et revenu en France, l'ancien lieutenant malade, affaibli, fait une dernière tentative désespérée pour se mettre en règle avec sa conscience et avec l'humanité. Castellan en appelle au ministre du roi de France pour sauver les esclaves naufragés de l'Utile (qu'il avait pourtant contribué à charger sur le navire, et laissés sur l'île après qu'ils l'aient aidé à construire un vaisseau de sauvetage).

PS : la date portée à l'en-tête n'est pas facilement lisible.

PS2 : j'ajoute en complément l'extrait d'une note du célèbre texte abolitionniste de Condorcet, les Réflexions sur l'esclavage des nègres (1784), où il fait mention de cet événement tragique à titre de preuve de l'indifférence européenne, et du fait qu'on "peut citer quelques exceptions honorables pour l'espece humaine".

Lettre de Barthélemy Castellan du Vernet1,

à M de Boynes, secrétaire d'Etat à la Marine.

Le 13 [?] Sbre [?] 1772

Monsieur,

L'humanité m'engage de vous faire part qu'étant

premier lieutenant sur la flûte L'Utile ; j'eux le

malheur d'éprouver son naufrage le 22 juillet 1761 sur

l'isle de sable qui est au nord de l'Isle de Bourbon, sur

laquelle nous réstames cinquante sept jours. Nôtre

principale nouriture fût des oiseaux de mer, et leurs

oeufs, sans les secours desquels nos forces n'eussent pas

été assés suffisantes pour construire une ambarquation

des debris que nous sauvames, qui ne furent pas assés

étendus pour donner assés de capacité à l'ambarquation

../..

pour prendre quatre vint dix noirs et négresses qui

par leur travail assidu avoient le plus contribué à la

sortie de cette Isle à l'équipage sauvé du

naufrage ; au nombre de cent vingt deux Européens

qui furent sauvés sur l'embarquation construite,

que nous nommames La Providence ; qui fit

route pour Madagascar, et nous arrivames le

quatrieme jour à Foulpointe ; où le vaisseau le

Silhouét nous reçeut pour passer à l'Isle de France ;

où je répresentois aux Commandants les Obligations

que nous avions aux noirs que nous avions été

forcés à régrét d'abandonner. Monsieur de St. Georges

qui y commandoit la Marine, m'avoit promis une

goëllete pour les aller prendre. Mais on eut

connoissance des ennemys à l'Isle Rodrigue, ce qui

ralentit toux les motifs d'humanité et toutes mes

récidives représentatives furent infructueuses. En

1762, je repassay en France après l'assurance que

Les Chefs m'avoient donnée qu'on y eut envoyé à la

../..

belle saison prochaine. On m'a assuré qu'on ne l'a pas

fait. Si ma santé qui est tres delabrée par mes

navigations, et surtout par les suites de ce naufrage, [ne l'était pas autant],

je vous soliciterois Monsieur pour m'embarquer sur

quelqu un des petits batiments que vous faites

partir, afin d'aler reconnoître l'isle à distinguer s'il

n'y resteroit pas encore quelques uns de ces infortunés noirs,

ce qui est tres aisé de decouvrir sans mettre pied à

terre, vu que l'Isle est plate, et entierement dépourvüe

de boys ny verdure, ny susceptible d'en produire. On pourroit

tirer quelques coup de canons qui reveilleroient coeux

qui auroient pu exister. Je me feray un devoir, de donner le

plan de cette Isle.

Je suis tres respectueusement

Monsieur

Vôtre tres humble

et tres obeissant serviteur

Castelan Du Vernet

à Lorient le 14 Spbre 1772

Source : Archives Nationales, Fonds Marine Sous-Série B/4 : Campagnes Mar/B/4/118 [1770-1774] ; F° 241. - 1772.

1 Le chevalier de Castellan fut premier lieutenant de frégate sur les vaisseaux de la Compagnie des Indes, et second du capitaine De La Fargue sur la flûte L'Utile (qui transportait en fraude une cargaison d'esclaves), lors de son naufrage sur l'île de Tromelin, anciennement Isle de Sable, le 31 juillet 1761.

La lettre des archives nationales.

La lettre des archives nationales.

Nicolas de CONDORCET

(sous le pseudonyme du pasteur Schwartz)

Réflexions sur l'esclavage des nègres (1784)
(extrait de la 4e note)

« ... Nous rapporterons ici deux traits, qui prouvent à la fois, combien les Européens sont éloignés, en général, de regarder les Noirs comme leurs semblables, & que cependant on peut citer quelques exceptions honorables pour l’espece humaine. En 1761, le vaisseau l’Utile échoua sur l’Isle de Sable. M. de la Fargue, capitaine, ses officiers, & l’équipage, composé de Noirs & de Blancs, employerent six mois à construire une espece de chaloupe. Elle ne pouvoit contenir que les Blancs. Trois cents Noirs, hommes ou femmes, consentirent à leur départ, & à rester sur l’Isle, avec la promesse solemnelle qu’aussitôt l’arrivée de M. de la Fargue à l’isle de France, les Blancs enverroient un vaisseau pour ramener leurs malheureux compagnons. La chaloupe arriva heureusement à Madagascar, on demanda un vaisseau à l’administration de l’Isle de France, pour aller chercher les Noirs, laissés dans une isle presqu’entierement couverte d’eau à chaque marée, où l’on ne trouve ni arbres ni plantes, où ces trois cents Noirs n’avoient pour lit qu’une terre humide, & pour nourriture que des coquillages, des œufs d’oiseaux de mer, quelques tortues, le poisson & les oiseaux qu’ils pouvoient prendre à la main. M. Des Forges, alors gouverneur de l’Isle de France, refusa d’envoyer un vaisseau, sous prétexte qu’il couroit risque d’être pris. En 1776, après treize ans de paix, M. le chevalier de Ternai envoya M. Tromelin, lieutenant de vaisseau, sur la corvette la Silphide, chercher les restes de ces infortunés, abandonnés depuis quinze ans. Il ne paroit pas que dans l’intervalle on eût fait aucune tentative sérieuse. M. Tromelin, arrivé près de l’Isle de Sable, détacha une chaloupe, commandée par M. Page, elle aborda heureusement. On trouva encore sept Negresses & un enfant né dans l’Isle, les hommes avoient tous péri, soit de misere & de désespoir, soit en voulant se sauver sur des radeaux, construits avec les restes du vaisseau l’Utile. Ces Negresses s’étoient fait des couvertures avec les plumes des oiseaux qu’elles avoient pu surprendre. Une de ces couvertures a été présentée à M. de Sartine. »

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